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 parc

Une lumière dans les yeux.

 

Je vis la DS disparaître au bout de la rue.

Enfin un peu de calme ! Plus de pipi sur la tête, plus de toc toc toc, plus de ding, ding, ding.

Le quartier allait être d’un calme serein et l’après-midi devrait être favorable au farniente.

D’ailleurs Pierrot avait terminé et rangeait ses outils dans la brouette.

 

Il amena le tout dans son atelier.

C’était son repaire personnel, on y trouvait parfaitement rangé tous les outils nécessaires pour tailler, scier, assembler, clouer, éclairer.



Pierrot, Pierre Danfosse de son vrai nom, avait été ingénieur et en gardait les habitudes d’ordre et de praticité. Il avait contribué à la construction de nombreuses centrales électriques au cours de sa vie.

Il trouvait souvent refuge dans ce lieu où il passait sa journée à construire et à démonter ce qu’il construisait car cela n’intéressait personne, surtout pas son épouse qui détestait ce qui pouvait salir la maison. Madame Simonne (avec deux n disait-elle) de la Clapière-Danfosse était traductrice en mandarin et adorait les chinoiseries mais détestait les mandarines,  trop acides !

Elle n’aimait pas son nom Danfosse, qui lui rappelait trop le dentier et ne l’utilisait que contrainte et forcée.

Pierrot suspendit le râteau à la place dessinée sur  le mur, puis la pelle et le ramasse-feuilles.

Il souleva la brouette et l’inclina pour qu’elle prenne moins de place.

Les feuilles avaient été mises au composteur et serviraient au pied des arbres et des rosiers .

Il regarda son mobile à eau et enclencha le moteur de la pompe .

Un filet d’eau remplissait un seau tenu par un petit nain de jardin articulé dont le bras s’abaissait sous le poids du liquide. Le seau rencontrait une butée qui poussait alors une roue dentée faisant avancer l’aiguille d’une grosse horloge. Le seau se vidait, le bras remontait pour se remplir à nouveau.

L’eau n’était pas perdue mais dévalait une méchante conduite verticale pour arriver sur les pales d’une génératrice électrique qui alimentait un tapis roulant où d’autres nains de jardin apportaient des friandises vers la crèche installée plus loin, d’un mouvement saccadé rythmé à l’heure de Noël par cette horloge à eau, clepsydre moderne que personne ne verrait.

Elle alimentait ensuite la cascade de la crèche pour remplir d’une eau vive le bassin des lavandières qui bavardaient en frappant leur  linge de leurs lourds battoirs, elle filait ensuite par la rivière et passait sous le pont où le pêcheur tentait sa chance sous le regard appuyé d’ Honorine, la poissonnière, qui voulait remplir son panier. Une peu plus loin elle léchait les planches de la roue à aubes du moulin à eau où le meunier apparaissait chargé d’un sac de farine tout neuf encore couvert de la pruine blanche des grains juste écrasés. Le ravi ouvrait la fenêtre tout esbaudi de tout ce mouvement de fête.

Elle courait encore  abreuvant le troupeau des bergers et filait, filait par tous les coins et recoins de son grand village de Noël qui bruissait des préparatifs de la fête. Gargouillis de sources, cliquetis de mécanismes savants, bruits de cascade, jouaient le concert pour le temps de l’avent.

-Tiens le moulin à vent ne tourne pas, il faut que j’aille voir !

Pierrot monta sur son escabeau et s’aperçut que le bohémien était tombé dans le ruisseau, avait-il trop fêté l’événement ? L’aveugle avec sa canne contemplait la scène que lui contait le petit enfant qui lui tenait la main. Quelques moutons curieux étaient venus brouter le chapeau du malheureux bohémien.

Il le remit sur le sentier et l’eau s’écoula normalement entraînant la petite roue qui transmettait à un engrenage changeur d’axe, le mouvement qui fit tourner ses ailes de toile à barreaux.

Elle revenait ensuite, à la fin de son parcours, dans la cuvette où la pompe s’abreuvait.

Ils arriveraient à l’heure ces nains de jardin, c’était calculé !

 

A quoi bon !  pensa t-il.

 

Installé les pieds au frais dans mon massif je sentis que la nuit serait glaciale. Le froid remontait de la terre et enserrait mes petites jambes dans un étau dont les mors se rapprochaient à chaque heure.

Le soleil déclinait lentement vers son couchant.

Je vis déboucher au haut de la rue la voiture des gendarmes. Ils avaient l’habitude de faire des rondes dans ce quartier bien tranquille.

Le fourgon avançait plus lentement qu’à l’accoutumée et je fronçais les sourcils encore plus ! Curieux !

Elle s’arrêta au début de mon allée !

-Tiens de la visite ?

Mais non c’était pour le voisin d’en face apparemment.

Un grand bonhomme habillé de bleu descendit du véhicule et sonna à l’entrée.

A l’arrière apparut une jeune dame de bleu vêtue avec un espèce de bibi sur la tête .

Elle ouvrit la porte arrière et je vis sortir deux beaux petits d’homme, non en fait il y avait un petit garçon emmitouflé dans son manteau et une petite fille avec son bonnet laissant échapper quelques mèches blondes bouclées.

La petite fille se blottit contre le petit garçon et porta à la bouche la tête d’une poupée de chiffon qu’elle appuyait sur son cœur. Le garçon l’enserra de ces deux bras et regarda autour de lui comme s’il était perdu.

Tournant sa tête il m’aperçut  dans mon massif à l’entrée de l’ allée.

-Salut mon p’tit gars ! T’as pas l’air bien !

Il me vit et baissa timidement la tête.

En général les gens qui passaient dans la rue esquissaient un sourire quand ce n’était pas un rire moqueur.

Apparut alors à l’entrée le voisin, un brave homme en pantoufle qui ait enfilé un lourd manteau. Il n’avait pas mis sa casquette habituelle et on voyait ses cheveux blancs illuminés par le soleil de l’après-midi.

Il écouta le bonhomme en bleu et prit un air surpris et désolé. Il tendit les bras aux enfants qui s’y blottirent tous les deux.

On vit alors arriver sur le chemin cimenté de son logis une mamy sur son fauteuil roulant avec une couverture sur les jambes. Elle cria «  Lucie, Emmanuel, mes petits chéris. Que faites-vous ici ? Venez vite au chaud ! »

Tout ce petit monde entra dans la maison. Rideau, je ne vis plus rien pendant un bon moment.

Enfin les gendarmes ressortirent après une bonne demi-heure et fouette cocher, leur véhicule disparut dans le crépuscule qui jetait sa couverture glacée sur le quartier.

Le lombric qui me chatouillait les orteils me dit :

-Ca va geler, ça va geler ! Je vais rez-de-chaussée.

Des larves de cigales brouteuses de racines le virent arriver et râlèrent un peu.

-Il faut toujours se pousser avec lui ! Mets-toi en boule dans le coin !

-Ca gèle, ça gèle ! Vitupéraient le hérisson et ses petits qui coururent se mettre à l’abri sous la haie, délaissant la limace qui filait dare-dare chercher le creux d’un arbre pour y passer la nuit.

-Froid devant, le gel a mis ses bottes ! Les bourgeons poussèrent leur duvet de coton et se fermèrent, claquemurés dans leur armure d’hiver.

Et moi mes jointures de bois commencèrent à craquer sous la morsure de la bise du Nord. L’arthrite des nains de jardin !

J’allai passer une bonne nuit !

 

Ces dames débouchèrent dans leur DS qui me jeta un regard stupide avec ses deux gros yeux globuleux illuminés de jaune.

Toc, toc, toc. Talon de bottes. Ding, ding, ding. Clochettes à Fifi !

Oh ! La petite reine des plates-bandes avait fait peau neuve.

Des boucles en veux-tu en voilà ! Comme un nuage de rose colorait ses volutes blanches ! Un peu de bleu, une touche simplement, sur le bout des papattes et un énorme nœud de satin noir et or sur la tête.

-Eh ! Sucre d’orge, elle aurait dû choisir bleu, blanc, rouge !

-Pierrot, on est arrivé ! As-tu préparé le repas de Fifi ! Elle n’a pas voulu toucher à son steak haché à midi. Elle doit-être morte de faim la pauvre bête ! Pierrot ! Mais où est-il encore !

Elle ouvrit la porte d’entrée alors que Pierrot sortait de son atelier.

-Encore la dedans, comme d’habitude ! Tu n’as pas mieux à faire quand même ! Tiens rentre la DS au garage ! Au moins tu serviras à quelque chose ! Je vais m’occuper de faire manger Fifi et je commanderai des sushis au traiteur ! Je suis épuisé avec ces courses de partout.  Alexandre était malade et c’est Geneviève qui m’a coiffée ! Comment trouves-tu ? C’est bien n’est ce pas ? Oh ! Elle n’a pas la main d’Alexandre mais elle est experte en massage du crâne ! Et tu as vu j’ai fait changer le décor de mes ongles pour les fêtes ! Superbe non ! Allez dépêche toi car tu vas attraper froid et je ne veux pas te voir malade pour Noël ! Les De Courcelles nous on invité pour le café de Noël, tu sais comment elle est si on ne vient pas ! Et tu mettras ton costume au pressing !

-Manque pas d’air Madame, dire tout ça sans reprendre sa respiration ! Allez Pierrot au boulot !

Toc,toc, toc.  Ding,ding,ding.

Voiture rentrée au garage, Pierrot entra à son tour dans la maison en traînant les pieds, le regard dans les nuages.

 

Les dernières flaques de l’arrosage matinal se prirent en glace alors que la nuit s’installa dans les ilence revenu craquant de froid.

En face les fenêtres s’éclairèrent des lumières du soir et mon panneau d’accueil s’illumina automatiquement, m’éclairant pour la nuit : statue vénérée d’un garde à la pelle !

Un rideau se tira en face, derrière la coûte de givre qui rampait maintenant sur les fenêtres, je vis un petit visage qui voulait éclairer la nuit espérant une présence.

Le petit Emmanuel au regard triste interrogeait l’obscurité, il croisa le mien.

J’y vis la détresse confusément mêlée à une grande brassée d’espoir qui empêchait la venue d’une grosse larme d’enfant.

Il avait une lumière dans les yeux.