Outils

bibli Dictionnaire.com

 

 parc

La nuit des Djinns...

 

La nuit nous enveloppait maintenant.
C’est un moment particulier qui ne laisse pas indifférent,  des myriades d’étoiles s’accrochent à un ciel d’un noir sublime, profond et inaltéré.  Ciel a portée de flèche, ciel de toutes les légendes où scintillent tous ces diamants gardiens du temps, Antares à la couleur de Mars se levait alors qu’au zénith Arcturus signait le printemps installé. Le ciel est à l’image du désert, sa connaissance demande du temps et du respect : on y est seulement accepté, jamais le maître.
Nous marchions dans ce silence particulier des nuits dans les dunes, pesant comme étouffant dans cette absence de bruit, aucune vibration, aucun souffle rauque qui gronde quand le chant des dunes remplit la nuit. Les djinns nous laisseraient tranquilles cette nuit !
Le raclement rythmé  de nos pas sur le sol rugueux remplaçait toute conversation, par moment le bêlement du chevreau qu’Ahmed retenait par une corde nous ramenait à la réalité : « Retrouver le campement installé pour la nuit et proposer pour ce soir un repas de fête».
Le feu était allumé et nous indiquait la route à suivre, petit point lumineux qui ne cessait de croître alors que nous approchions. La nuit, le feu est  le meilleur des guides, comme les étoiles, oui comme les étoiles  dont il faut suivre l’enseignement avec passion. Elles sont nos seules compagnes lors des longues traversées des ergs et des hamadas.
Le feu avalait les réserves de bois lorsque nous arrivâmes, tous vinrent voir le chevreau et semblèrent satisfaits de la bête.
Des voyageurs, hôtes de la méharée, touristes du désert, me demandèrent incrédules ce que je comptai faire de ce mignon petit chevreau blanc et noir.
-C’est le repas du soir !
Ce qui leur coupa l’appétit pour le compte. Je leur fis remarquer que les guides ne mangeaient plus à leur faim, nous laissant le meilleur pour nous et en consommant pas notre nourriture pour l’essentiel. Le chef, le plus vieux du groupe était malade et affaibli mais ne le montrait pas, il fallait le nourrir correctement et en tant que chef de méharée je me devais de prendre soin de tous et de toutes !
 Le cuisinier se présenta pour s’occuper de la bête et  disparut avec elle, engloutie dans l’obscurité de la nuit. On ne l’entendit plus.
Je savais qu’elle rencontrerait la lame tranchante, l’animal serait égorgé puis dépecé et vidé. On conserverait les abats…….

Il me revenait à l’esprit ces soirées dans le désert et la préparation d’un festin de roi pour le soir, en Mauritanie.
Le mouton finissait sa préparation en étant fourré de semoule et de grains de raisin.
Le feu vif avait épuisé ses nombreuses branches et ne restaient que des braises incandescentes.
On repoussait alors le tas de cendres brûlantes et on creusait un trou à même le sable.
Le mouton était ensuite introduit dans le trou et recouvert par le sable chaud et les braises.
La suite était affaire de temps.
Le mouton sorti était parfaitement rôti ainsi que la semoule confite aux sucs de viande.
On détachait avec gourmandise les filets si tendres que l’on agrémentait de boulettes de semoule gentiment pétries dans la main !

Ce soir la bête était plus petite et nous la rôtîmes à même la chaleur du feu, un peu de graisse suintait et fusait sur les braises en produisant un fumet appétissant.
Les morceaux, une fois cuits, rejoignirent la semoule dans le plat commun.
On poussa vers moi les meilleurs morceaux, j’en acceptai quelques uns proposant les autres au partage. Les mains cueillaient la viande essuyée dans son jus, puis on pétrissait à pleine main la  semoule bien serrée jusqu’à ce qu’elle devienne boulette et il n’y avait plus qu’à la pousser dans la bouche. J’étais satisfait de voir que mes guides appréciaient le repas et enfin mangeaient à leur fin. La nuit serait froide, comme toutes les nuits en cette saison.
On servit le thé !
Je remarquai que le groupe avait droit à une théière remplie. Pour ma part je restai autour du feu et on me servit les trois verres traditionnels, je surpris le regard heureux du chef touareg, heureux de voir que j’appréciai les coutumes du désert.
Il me souvient de lui avoir dit :
-Je ne suis pas un touriste !
Tout le monde avait bien ri et il m’avait tapé la main. On s’était compris.
Etait resté autour du feu Bernard avec lequel j’entretenais des relations cordiales et de confiance. Le désert commençait à le contaminer.

J’aimais bien lui raconter mes expériences du sable et des hamadas, mais surtout la fierté et l’honneur de ces hommes et femmes qui font de ces immenses espaces leur jardin.
Nous ne sommes que des nains comparés à leur connaissance intime du milieu avec lequel ils font corps.
Il aimait écouter, il comprenait ma passion pour ce monde et je lui décrivais lors de nos marches, la variété des formes du relief, les grès désagrégés en sable par l’usure du temps, les boules de granite à la surface cramoisie, l’irruption des necks de basalte à travers les sables dorés, les gheltas reposantes où paressent les filets d’eau, les oasis accueillantes aux dattes confites et aux palmeraies ombragées.
Il n’était pas venu acheter le chevreau, peur d’un inconnu qui dérange peut-être, mais il en avait mangé !
Les guides firent leur isha après des ablutions sèches.
Le campement se préparait pour la nuit. Les dromadaires étaient partis à la recherche de leur pâturage entre les pierres. D’autres se reposaient.
Le froid descendait sur nous et on regagna rapidement les sacs de couchage.
J’enlevai seulement les chaussures que je bourrai au maximum de chaussettes de sport. Bernard riait toujours de me voir faire !
Je lui avais expliqué que c’était un réflexe, je n’aimais pas du tout me retrouver le matin avec un scorpion, une araignée ou un serpent venu y élire domicile !
-On n’a pas vu une bestiole depuis que l’on marche !
-Leur domaine c’est la nuit ! Et la nuit tu dors !
-Moi je préfère aérer mes godasses !
Seule ma tête dépassait de mon sac et j’avais pour baldaquin le ciel étoilé, un luxe sans pareil.
-C’est fou le nombre d’étoiles que l’on voit ! Me dit Bernard.
-Oui, j’ai d’ailleurs du mal à retrouver mes constellations dans tous ces points qui scintillent !
Les guides touaregs s’enfermèrent dans leur petite couverture et s’adossèrent à quelques dromadaires au repos, y trouvant quelque chaleur.
On allait bien dormir. Du moins si le ciel le voulait bien ! Mais il ne le voulut pas !
Bernard qui l’observait, reprit tout-à-coup :
-Il y a un truc bizarre là-bas !
-Dans quelle direction ?
On repéra en effet un point lumineux à la trajectoire énigmatique.  Je connaissais les feux scintillants des avions, les rentrées atmosphériques de météores, mais là c’était nouveau.
Le point lumineux avait une trajectoire géométrique opérant des changements rapides de direction à angle droit, petit pas à droite puis brusquement vers le haut pour repartir à gauche ou parfois en bas.
Un ballet insensé dans un silence parfait.
-C’est pas un avion, c’est pas un hélicoptère, c’est un Ovni ! s’exclama Bernard.
-Il faut aller voir en haut de la colline de grès, on sera dégagé !
Nous voilà sortis du sac.
Ahmed nous voyant partir vers le massif de grès, nous interpelle :
-Pas là-bas, Djinn !
-Ils ne sont pas là ce soir Ahmed ! On va voir ce qu’est le point lumineux au loin !
Et nous voilà partis à la recherche de l’Ovni ou des Djinns, c’est selon !
Du haut du promontoire on avait une vue magnifique sur le campement et sur tout le ciel qui nous entourait.
Le point se calmait puis reprenait sa danse.
-Je n’y comprends rien ! C’est quoi ce truc !
On aurait pu en rester là et verser un mystère de plus dans l’histoire du désert.
Mais la solution m’est apparue dans toute sa beauté et l’explication était tellement évidente, mais je n’avais jamais assisté à un tel spectacle de la nature !
Depuis je l’ai appelé la danse du ciel.
-Attends, assieds-toi ! Maintenant regarde le plus d’étoiles possibles !
Observe que celles qui sont à la même hauteur ont le même mouvement !
En fait ce sont les couches d’air qui se stratifient à des températures différentes au dessus du sol. Il n’ y a pas de vent et la trajectoire des étoiles les fait traverser ces couches qui ont des indices de réfraction différents ce qui produit brutalement les déplacements lorsqu’on change de couche.
-C’est génial
-Oui, c’est magnifique ! Je n’avais pas encore assisté à ce spectacle. On ne peut le voir qu’ici.

Et on regarda le ciel danser dans la nuit.
Puis on s’en retourna l’esprit plein d’étoiles. Nous sombrâmes dans un sommeil sans rêve.
Au matin le givre nous recouvrait. Il avait gelé.
Cela sentait le café chaud.
Je sortis de mon sac et mis une couverture autour du cou.
C’est alors que je la vis au milieu de l’allée, une vipère à cornes écrasée d’un coup de bâton, les djinns étaient passés dans la nuit mais les touaregs les sentent !
Depuis ce jour Bernard met ses chaussettes dans ses « godasses » !

La journée serait rude, nous passerions les gheltas pour nous rapprocher de l’Assekrem.