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 parc

1914

Semée depuis novembre la fleur bleue du lin orne les champs de ce début d'été 1914.
  Les minuscules grelots succédant aux fleurs annoncent le temps de la moisson qui ne peut se faire qu'à la main.
Jeanne et Alphonse embauchés pour trois jours , s'activent dans le champ, ils arrachent les longues tiges, en prenant soin de trier les avoines et les chardons, les mettent  en bottes maintenues debout pour le séchage.

  A la fin du travail Jeanne demande aux ouvriers plus âgés :
         - On va envoyer toute la récolte à la fabrique de Courtrai?
         - Pas tout de suite ! Une fois sèche on reviendra pour égrener au peigne, puis les bottes seront mises à tremper dans un ruisseau où passent les eaux grasses de l'Escaut. C'est le rouissage pendant quinze jours pour faire pourrir  l'écorce avant d'engranger pour l'hiver.
      - Mais c'est bien long !
      -E t c'est pas fini, renchérit le vieux paysan , les fibres seront bouillies avec des cendres de bois, rincées, séchées  et groupées  en écheveaux, roulées en quenouilles et enfin on pourra faire du bon fil .
Mais Alphonse n'écoute plus...Il attire la bavarde.
     - Je suis fourbu, mais je vais te dire Jeanne, cette journée passée avec toi a été trop courte...
     - Si tu veux on recommence demain ? Le patron demande de la main d'oeuvre pour la France.
     - Demain on ira en france avec vous ! affirme Alphonse en saississant la main de la jeune fille qui ne dissimule pas sa joie.
     - Attention, le travail commence à quatre heures du matin ! Pensez à prendre la feuille du frontalier, la douane doit y mettre son cachet.
Les deux jeunes gens se regardent enchantés à la perspective de passer ensemble cette prochaine journée. Jeannne retire son grand tablier, laissant le jeune homme admirer ses courbes bien dessinées par la robe légère qu'elle soulève en dévoilant l'arrondi du mollet pour libérer la paille entrée dans ses sabots.
Chacun reprend le vélocipède, abandonné au bord du champ pendant le temps du travail. Alphonse a emprunté le vieux vélo de son frère et admire celui de Jeanne, la jante du bicycle est entourée d'un boudin en caoutchouc.
     - Les routes bourrées de pierres , ne me font plus peur avec ces pneumatiques, reconnaît Jeanne.
    - Ton vélo est aussi beau que celui du facteur !
Ils marchent épaule contre épaule, main dans la main, tenant de l'autre main leur vélo dans un équibre incertain , sensible aux nombreux cailloux et racines.
Ils cheminent le long de l'Escaut et croisent de lourdes péniches, chargées jusqu'à  ras bord,laissant l'eau frissoner dans leur sillage.
Sur un coin de rive, un pêcheur de grenouilles, armé d'une gaule , d'un fil et d'un morcaeu de chiffon rouge en guise de leurre, par un coup souple du poignet, entraîne le batracien dans un sac de jute accroché à sa taille.
Enhardi par la complicité du soleil qui laisse ses rayons prolongés cette chaude journée d'été, ils ralentissent le pas.
  La haute silhouette du moulin se dressant à la croisée des chemins est le signe de leur séparation. Deux galopins passent en courant, les bousculent,:
   - Ouh ! les amoureux !
Emerveillés ils se regardent.
   - Ma parole, Jeanne tu as emprisonné un coin de ciel bleu dans tes yeux ?
  Le sourire de la jeune fille dessine deux petites fossettes aux coins des lèvres.
Elle glisse la paume de sa main sur le poignet rond du garçon,doucement elle monte sur l'avant bras, rond lui aussi, et avant d'atteindre la fermeté du muscle, marque un temps d'arrêt dans le creux du pli, là où la peau si fine, presque transparente laisse apercevoir le violet d'un vaiseeau. Posant sa bouche au plus creux du bras, elle y dépose son émotion par un doux baiser.
  Lui prenant la taille dans ses mains Alphonse, laisse voir la passion dans ses yeux brillants, mais en homme responsable c'est lui, conscient de leur éblouissement réciproque, qui rompt le silence seulement troublé pat le gémissement des tourterelles. 
     -A demain ma Jeannette !
    - A toujours mon Alphonse
  L'été s'annonce rempli d'amour et de projets ...
Leur bonheur assourdit les rumeurs   venues d'au- delà de la frontière....