L'exposition de 1935
1935.
La monumentale statue de l'éléphant qui domine le pavillon du Congo de l'exposition universelle de Bruxelles reste insensible au trio qui l'admire.
Elégamment vêtues les jeunes femmes ne passent pas inaperçues. La plus grande porte une robe de crêpe blanc à petits dessins de feuillages roses, le corsage peu fermé par un gros noeud plat et des manches qui s'évasent jusqu'aux coudes donnent un air mondain à la Jeanne de Roubaix, allure qu'elle accentue par le port d'un chapeau blanc à voilette légère et des escarpins en cuir mauve.
Sa soeur Victoria a dévalisé les magasins de mode bruxellois pour dénicher une robe en soie à carreaux blancs et noirs pour la jupe, mais au corsage noir uni, garni d'un large col à damiers assortis , sur les mancherons se promènent trois petits noeuds; un chapeau à larges bords et des bottines à petits talons complètent l'élégance de la tenue.
Elles déambulent avec Madeleine, leur soeur ainée, venue de Gand pour l'événement. Juchée sur des escarpins fermés elle est quand même la plus petite des trois.
Sa robe jaune descend à mi mollet et de légères fronces sous la ceinture , en satin marron, soulignent des hanches un peu rebondies. On retrouve sur le bas des manches courtes le satin brillant aussi marron que ses yeux. L'épaisse chevelure brune est par endroits piquée de délicates fleurs jaunes.
Toutes trois se félicitent de l'harmonie de leur tenue. D'un pas alerte elles visitent les nombreux pavillons étrangers.
Un groupe d'Indiens installés dans un village de tipis retient leur attention, ils portent leurs vêtements traditionnels, coiffes et plumes, mocassins et gilets brodés de toutes les couleurs.
Bienvenu le theâtre de verdure offre ses gradins pour un moment de repos et de repas. Les tartines au pâté de foie, sortent des sacs de cuir. Victoria sert le lait au chocolat froid acheté en passant dans l'enceinte d'Autriche. En jacassant elles se régalent.
- C'est pas mon Florent qui accepterait de manger ainsi ! dit Madeleine.
- Oh ! Madeleine ! il ne faut pas supporter le joug des Flamingants ! ajoute Victoria en riant.
- Evidemment, toi,depuis ton veuvage tu fais ce que tu veux !
- Je vais vous dire les filles renchérit Jeanne, le meilleur c'est mon Fonfon ! Mais s'il buvait un peu moins...Bon , parlons d'autre chose, allons voir les peintres et leurs toiles.
Dans une ambiance feutrée, en complicité avec la douceur de la musique, l'exposition prestigieuse rassemble oeuvres, documents et desssins de nombreux artistes.
Admiratifs devant Matisse, Toulouse Lautrec, Degas, Cézanne, mais si pour Picasso les avis divergent c'est bien Magritte et ses peintures surréalistes qui fascinent les jeunes femmes.
-La pipe !
- Tu la vois ? Ces joiles courbes en bois clair pour le fourneau et au tuyau noir, je connais...Fons fume souvent !
-En dessous Magritte a écrit : ceci n'est pas une pipe ! Quel culot !
Madeleine reste dubitative.
Seule Jeanne comprend la trahison des images, le réel et l'imaginaire.
Victoria dans un grand rire rétorque:
- Bien sûr, ce n'est pas un pipe puisque tu ne peux pas la fumer!
La journée se poursuit par l'immanquable pèlerinage à Manneken-Pis.
Posée dans l'angle d'un mur la statue en bronze du petit marmouset bruxellois en train d'uriner amuse les nombreux passants. En citadine habituée des lieux Victoria commente volontiers:
- On l'appelle aussi "petit Julien " et en 1890 pendant deux jours sa fontaine a distribué du Lambic , il a eu encore plus de succés !
La visite de la ville se poursuit en passant Place du Jeu de balle, seule Jeanne entre dans l'église où est enterré Bruegel .