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 parc

Alphonse, le fils ...

 

-Heureusement c'est un garçon !
  Soupire le père et cela suffit pour pardonner à ce bébé joufflu, au crâne lisse comme un oeuf, son arrivée intempestive. Le berceau à bascule descendu du grenier, dépoussiéré et garni d'un gros matelas de paille sèche, est installé  pour  plusieurs  mois dans la chambre des  parents.
Le couple a maintenant trois enfants, mais la mère de Silvie n'est plus là pour s'occuper de Prosper et de la seule fille: Adeline , qui a trois ans à la naissance d'Alphonse.
Vers neuf mois pour ne pas se laisser accaparer par les soins du bébé sa mère le tient emmailloté, bien serré dans ses langes, et accroché par des bretelles à une potence dressée dans la salle du bistrot. C'est ainsi qu'il apprend à marcher en pivotant autour de ce mât. Aprés l'école, le frère et la soeur vagabondent avec lui entre les tables. Les clients aiment ce petit bonhomme tout rond, à la drôle de frimousse. A chaque éclat de rire ses petits yeux noisettes se plissent et disparaissent complètement. Une petite bouche mutine soulignée par une tache de rousseur sur la joue gauche s'ouvre sur des gencives encore édentées, sur la tête trainent de maigres cheveux. Sa joie de vivre le rend presque beau.
Sans déranger les habitudes il grandit dans le choc des verres et s'escalffe à chaque fois qu'un habitué lui adresse la parole. Ravis par tant de gentillesse les consommateurs donnent  un morceau de sucre trempé dans du genièvre...
     -Tiens mon bonhomme v'là un canard !
Cette basse cour un peu particulière rougit les joues des gosses et les aide à trouver le sommeil, laissant les parents travailler sereinement!
L'alcoolisation quotidienne arrange toute la famille.
  Vers sa quatrième année le benjamin est mis à l'école , sous la bonne garde de Prosper et Adeline. Sur le chemin ils rencontrent souvent un vieil homme, le dos courbé, portant tout le poids de son corps sur un gros bâton.  Une vilaine veste plusieurs fois rapiécée et ses cheveux hirsutes lui donnent un air  d'épouvantail. De gros poils longs et sales sortent des narines et quand il crie :
    -Arrête toi crapaud ! ses dents abimées et cassées effrayent les enfants qui accélèrent la pas en répondant:
   -Tu traînes les pieds, euh !  tu vas crever, euh ! Tralala, euh !
  En arrivant devant l'école ils rajustent leur tenue,la fille tapote son bonnet gris et les garçons redressent leur casquette avant de rejoindre les autres élèves. Derrière ses petites lunettes rondes, retenues par le bout du nez, l'instituteur veille à la propreté et signale les bottines mal lacées ou les galoches boueuses.
La journée commence et se termine toujours par une prière ce qui laissse le temps à Alphonse, voyant le maître de profil de se demander... combien de jours il faudra au long favori qui descend contre l'oreille pour rejoindre la moustache taillée court ?
Le  martinet posé dans l'angle formé par le mur et le grand tableau noir interrompt les divagations des enfants peu sages.
Pas vraiment cancre, plutôt le dernier sans être le plus bête, à la belle saison Alphonse est souvent absent car il doit garder les vaches. Il les méne dans la prairie en leur donnant de légers coups de fouet sur la croupe. C'est en rentrant chaque soir les volailles  de l'élevage familial,   et  en additionnant les oeufs pondus, qu'il apprend à compter comme il le ferait sur le boulier de son école.