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 parc

L'adolescence de l 'amour

 

Vingt....Vingt et un...La pendule sonne lourdement, seule Jeanne l'entend.
Ses soeurs couchées dans le grand lit dorment déjà, ainsi que Victor le petit frère, en boule, les genoux sous le menton et le pouce dans la bouche.
Dans le silence revenu la jeune fille perçoit un léger sifflement. Curieuse elle s'approche de la fenêtre et voit, éclairée par un rayon de lune  la silhouette du garçon rencontré chez le vannier.
Alphonse !

       Un fichu vite lancé sur les épaules habille la longue robe de nuit.
  Elle descend l'escalier, évite le craquement de la troisième marche et en quelques pas rejoint le garçon. Il a le pantalon un peu haut tenu par des bretelles et la casquette de travers. De son index il déplace les cheveux de la jeune fille pour retrouver les yeux qui le font rêver.
       -J'avais trés envie de te voir...
Jeanne sent la chaleur sur ses joues et un sourire traverse son visage.
      - Viens...
Saisissant la main du garçon elle l'entraîne sur le coté du puits où un petit banc de pierres grises se distingue difficilement. Assis, leurs épaules se touchent.
  Du fond de sa poche, Alphonse sort des morceaux de sucre roux,  mal taillés et reliés par un cordon.
    - C'est pour toi !
     - Merci...on dirait un collier !
    - Oui, un colllier de gourmandise, tu peux gouter, c'est du sucre à la ficelle, du sucre candi ! Quand j'ai le rhume ma mère fait fondre le sucre avec des rondelles de radis noirs et me donne le sirop à boire.
     - D'accord, on partage le bonbon...
Jeanne glisse un morceau dans la bouche d'Alphonse  :
     - Tu le suçes un peu et tu me le passes...
Amusé il roule trois fois l'éclat de sucre puis le laisse apparaître entre ses dents. La gamine hésite mais  approche  ses lèvres arrondies pour saisir le bonbon. L'échange se fait rapidement. Alphonse effleure la bouche tentatrice et un frisson de plaisir enchante les deux coeurs.
    - Tu sens bon...la rose...
    - C'est la savonnette...
    - Tu as quel âge ?
    - Fin mars j'ai eu treize ans, et toi ?
    - J'aurai quinze, début août, je croyais que tu avais plus, tu as déjà de la poitrine...
Ce disant il pose sa main brulante sur le buste de la jeune fille,  la nuit complice estompe  la rougeur de ses joues.
     - Je sens battre ton coeur .
Un chant d'oiseau vient au secours de leur silence embarrassé. Une série de petits cris vifs et aigus s'élance en vrilles soutenues, sonores et cristallines, et se termine  en crescendo mélodieux.   A voix basse le garçon rompt le charme :
       - Le rossignol, dit qu'il est notre ami 
       - Oh! tu connais les oiseaux et leur chant !  Tu aimes lire ?
       - Pas tellemnt, et toi ? 
       - Beaucoup chaque jour je lis le feuilleton "Jacqou le croquant" dans le journal, malheureusement son auteur Eugène Lacroix est mort en 1907...il n'écrira plus ces belles histoires .
  Par son bavardage Jeanne cache son émoi. Derrière eux l'aubépine en fleurs distribue généreusement ses effluves envoutants de tendresse.
Passé trés prés de ses cheveux le vol lent d'une chauve souris effraye Jeanne:
       - Cet oiseau me fait peur! 
      - Ne crains pas c'est une pipistrelle elle n'est pas méchante, elle mange les moustiques, et ce n'est pas un oiseau elle n'a pas de plumes mais des poils tout doux comme du duvet, c'est le seul mammifère volant, elle vit environ trente ans.
   La jeune fille est totalement admirative mais pas  vraiment rassurée.
       - Je dois rentrer, on se revoit dimanche aprés la messe si tu veux ? 
  Le jeune homme  avoue ne plus y aller depuis sa communion , mais...
     -  Oui, je viendrai! 
Puis il s'eclipse la laissant seule dans le noir. 
A ce moment là seulement elle ressent l'humidité de l'herbe sur ses pieds nus.