Pour un morceau de boudin blanc...
En 1912 il accomplit dignement son service militaire, et passe toutes ses permissions dans la boucherie de ses parents.
Justement pour ce Noël de 1913 entrent dans la boutique quatre jolies jeunes filles suivies d'un grand jeune homme. Tous se ressemblent. Les mêmes cheveux châtain foncé débordent des chapeaux et la ligne droite du nez confirme leur fraternité.
Arthur vient de reconnaître l'homme qui travaille chez Julien l'ébeniste .
- Bonjour Monsieur Fernand !
-Pas de monsieur , appellez moi Fernand et voici mes soeurs : Blanche... Jeanne...Louise...et Berthe ...Nous sômmes tous admiratifs, devant votre étal de gibiers et de volailles .
A l'annonce de leur prénom les jeunes filles ont fait un petit signe de la tête assorti d'un sourire timide.
-Moi , c'est Arthur !
Prestement il tend la main, non sans avoir pris soin de l'essuyer sur un pan de son tablier blanc. Il s'incline devant chacune et se sentant rougir il se penche trés fort en approchant Berthe, sa position inconfortable le fait trébucher mais d'un geste gracieux la jeune fille le rattrape avant la chute.
D'un élégant châle en fourrure émergent de vastes yeux noirs, mais les lévres fortes et charnelles dessinent un sourire hautain.
- Bien...Nous venons chercher ce fameux boudin blanc qui fait saliver tout Roubaix .
- Oui, oui, bien sûr ! Bafouille Arthur , le regard accroché aux bottines de cuir ,fines et lacées, de la gracieuse personne .
-C'est que....Je n'ai plus de...enfin pour le moment, mais sa fabrication est en cours et je pourrai dés demain vous apporter le boudin blanc à votre domicile, je passerai après la messe de dix heures.
L'affaire est acceptée, l'adresse vivement donnée par Fernand est notée; aprés les salutations d'usage la famille quitte le magasin.
A ce moment la mère d'Arthur intervient:
-Tu sais Arthur..., il y a encore du boudin dans la cuisine .
- Certainement...je sais !
Toute la nuit il repense à son mensonge et rêve de cette livraison.
A l'heure dite il tape le petit marteau sur la cloche accrochée à la porte cochère, jouxtant le cabaret tenu par les parents des jeunes filles.
La tornade des cinq têtes brunes déferle et d'un seul coup, s'arrête sur les premières marches de l'escalier. Berthe est la plus grande, il prend en plein coeur ses yeux noirs. La bouche fendue par la largeur du sourire laisse apercvoeir un espace entre les dents. Les cheveux rassemblés en coques de chaque coté des oreilles dévoilent un front lisse et accentuent l'ovale du visage clair. Louise rompt le silence et murmure dans l'oreille de sa soeur :
- Tu vois comme il te regarde ?
Troublée par le regard franc et lumineux la jeune fille ne descend plus l'escalier, elle dévisage ce jeune homme nerveux qui piétine en bas des marches. Bien que petit et mince, une veste en peau d'agneau bien coupée et des bottes en cuir lui donnent fière allure. Les filles ont rapidement payé et emporté le paquet. Congédié, le livreur se retrouve seul dans la rue.
Malheureusement sa permission se termine. Demain il retourne à la caserne pour quelques mois . Qu'importe il reviendra !
Arthur le sait maintenant Berthe est inscrite dans sa vie.
Dés les premiers jours du printemps 1914, le jeune militaire impatient de retrouver Berthe, déambule rue de Lannoy passant plusieurs fois devant l'estaminet empli d'une gaieté bruyante, il n'ose y entrer.
- Bien le bonjour Arthur ! une tape chaleureuse lui secoue l'épaule.
- Fernand ! Je suis bien content de te trouver sur mon chemin...
- J'installe mon atelier d'ébeniste prés d'ici, au 31, nous allons souvent nous croiser. Te voilà revenu ?
-Pas encore, mais ce ne sera plus très long, je termine le service militaire en Juillet.
- Attends moi ici , je pense qu'une de mes soeurs sera ravie de te voir!
Fernand s'échappe ne lui laissant pas le temps d'une réponse et revient seul. Voyant l'air déçu du jeune homme, il s'empresse d'ajouter:
- Reviens demain après midi tu pourras l'accompagner dans sa promenade quotidienne avec sa soeur.