Louis, le charbonnier.
Pendant toutes ces années, pas trés loin de là ...une autre famille.
Roubaix... 10 octobre 1894.
D'un geste vif Louis rentre sa longue chemise de nuit dans le pantalon qu'il serre avec une large ceinture de toile bleue.
Les galoches à peine chaussées il enfile une veste rapiécée. Une double toile de jute est jetée sur ses épaules il la remontera sur la nuque et les cheveux pour les protèger des poussières de charbon.
Un léger passage de la main suffit à rassembler sa chevelure éparpillée.
Dans la pièce principale, sur le lit descendu pour la circonstance, Marie épuisée repose; les cheveux encore mouillés par le travail de l'accouchement lui collent sur le front.
D'un air attendri l'homme se penche vers le berceau, le nouveau né emmailloté bien serré, dort lui aussi.
Ces deux là ont bien perturbé sa nuit.
-Dommage que tu ne sois pas une fille petit Arthur.
Les compères arrivés depuis peu s'émerveillent en contemplant leur filleul.
Louis peut partir travailler, les clients le guettent déjà . Dans la cour la charrette chargée depuis la veille attend les chevaux. Le nez dans le seau ils terminent leur picotin. Rapidement les Brabançons sont attelés et c'est sous un ciel gris et nuageux que le convoi s'ébranle. Les puissants chevaux aux queues courtes et aux larges paturons, venus tout droit de leur prairie flamande heurtent lourdement les pavés. Dans toute la rue , en écho au résonnement des sabots, le laitier dépose sans ménagement ses bidons de lait.
C'est dans le quartier du Trichon que son premier client l'interpelle :
- Oh charbonnier, t'as du carbon, pour mi ?
-J'arrive !
Aussitôt l'attelage est arrêté. Le soupirail ouvert désigne dans la rangée, la maison qui recevra la livraison des gaillettes...
-M'faudrait vingt sacs ...T'es ben en r'tard c'matin ?
- La patronne m'a fait le petit cette nuit , encore un gars ! Jirai le déclarer tantôt .
- Toudis les mêmes qui ont de l'chance, mi j'ai q'des filles ! Ti t'auras des bras pour t'aider !
Sans plus attendre Louis descend les sacs l'un aprés l'autre, et les déverse dans l'ouverure faite au bas du mur. Les sacs vides sont empilés à coté du seuil de la porte pour y être comptés par le client.
- Viens boire une bistouile, et dis ton prix, c'est ma femme qui paie ! Elle est toute en foufelle, elle va à l'embauche au peignage de la rue d'Avelghem, chez Alfred Motte !
En pénétrant dans la pièce le charbonnier s'éponge le front avec un vilain morceau de tissu sans couleur tiré de la poche de sa vareuse. L'homme fort et robuste aime bien ses tournées agrémentées de rencontres diverses...