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Jules grandit

 Les ouvriers frontaliers profitent de nombreux avantages.
Leur salaire est supérieur à celui des Français, ils touchent la prime de la vie chère et une prime de fidélité ainsi qu'une aide au logement.
Toutefois la vie en France devient difficile, la situation se dégrade.

De plus en plus souvent les Français  reprochent aux Belges de prendre leur  travail. Mais après le tollé des organisations qui incitent à la grève, les conditions de travail s'améliorent. Et la semaine de travail passe à quarante heures au lieu des quarante huit.
  Les villes  industrielles se développent  grâce aux usines du Nord .
  Jules grandit sans soucis entre ses parents, heureux de constater ses progrés scolaires. Pour sa communion il reçoit un vélo vert avec lequel il se rend chaque jour à la belle école de la rue Brézin.
   Le premier décembre, jour de l'anniversaire d'Alphonse, Jeanne emmène Jules à sa rencontre.
       - On va faire une surprise à papa !
Le magasin est rapidement fermé.  Sur un carton coincé derrière la vitre la jeune commerçante a écrit "ouvert demain "
      - Quand il sortira de l'usine il sera content de nous voir !
     - Oui, je ne lui ai rien dit, nous allons suivre son chemin.
  Chaudement vêtus mère et fils se tiennent la main en longeant les rails du tramway qui passe rue de l'Alma. Sur le pont saint Vincent ils marquent un arrêt et admirent le va et vient  des trains de  la gare de Roubaix.
D'un pas tranquille ils descendent  la rue de l'Ouest. Les petites maisons de briques sales, serrées et bien alignées font face aux lignes du chemin de fer.
  Un ciel gris comme l'ennui recouvre toute la rue. Seul le mouvement des trains par son cliquetis laisse penser qu'une vie existe en ce lieu.
Jeannne et Jules insensibles à cette ambiance qu'ils connaissent bien, ne pensent qu'à la tendresse d'Alphonse et pressent le pas pour ne pas rater l'heure de la sortie et le moment où ils pourront lui sauter au cou. La joie stimule et réchauffe leur marche.
Quand brutalement Jules heurte une vilaine machine en fer rouillé, un vieux vélo abandonné sur la façade s'étale à ses pieds.
   -Vois celui là ! J'en crois pas mes yeux ! C'est le vélo de ton père !
   -Peut être un camarade lui aura emprunté ? suggère l'enfant espérant un apaisement.
  - Je vais le savoir tout de suite !
La jeune femme s'approche de la porte de l'estaminet, d'un revers de manche essuie l'humidité d'une vitre et s'y colle le front.
  -C'est trop fort !
Sans la moinde hésitation elle pousse la porte et entraîne son fils ahuri.
La vareuse de drap gris ouverte, Alphonse accoudé sur le comptoir tient dans sa main droite une grosse chope presque vide. Son béret noir enroulé posé devant lui, à coté d'une pipe éteinte.
Personne n'a vu entrer la tornade mais tous les regards se tournent amusés vers la colère de cette femme avec son gamin.
Méprisante, Jeanne l'interpelle bruyamment:
  - Bonjour Mossieu ! Votre fils voulait vous faire une surprise....et nous vous trouvons ici ! Un ivrogne voilà ce que vous êtes !
D'abord goguenard le mari se trouble, l'alcool et la honte se mélangent sur ses joues qui virent au rouge cramoisi, accentuant les cernes bleuâtres qu'il a sous les yeux .
  - Jeannette ne sois pas fachée, je vais t'expliquer...
  - Rien du tout... je ne veux pas écouter , un buveur ne peut que mentir !
D'un geste rapide elle lui colle le béret sur la tête et en le bousculant force son bonhomme à quitter l'établissement.
  La sortie se fait sous les rires et les quolibets :
  - Te laisses pas faire mon gars !
    -Bon courage et bonne nuit mon vieux !
De gros rires saluent le départ du trio. La lumière du soir et une pluie providentielle obligent la famille à se hâter. Alphonse incapable de tenir sur son vélo se contente de le pousser, malgré son courroux sa femme le mène sur les trottoirs et redresse tant qu'elle le peut les nombreux zigzags.
  Jules s'amuse à sauter dans les flaques d'eau.
  - Eh ma femme !
  -Quoi encore ?
  -Jai pas payé !
  -Qu'importe ! Je suis certaine que tu y retourneras demain !
Faudra bien ...et elle dira encore que c'est ma faute ! ...se dit le bonhomme dans le nuage de ses pensées.

 


 

 

 

 

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