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La guerre se termine, la vie continue....

 

Au début de l'année 1918 un soldat blessé, prenant appui sur des béquilles entre dans le bistrot tenu par madame Debruyne. 
Immédiatement en quête  de renseignements, Berthe et ses  soeurs, l'entourent de  leurs questions.

   - Mesdemoiselles, c'est Arthur qui m'envoie, j'aurais dû arriver il y a plusieurs semaines, mais ma jambe a été ecrasée par le corps du cheval qui m'a entrainé dans sa chute. J'ai une lettre pour Berthe.
  - Alors, il est  vivant !
  -Actuellement je ne sais pas...Voici la lettre qu'il m'a donnée quand j'ai quitté l'infirmerie.
Berthe partagée entre joie et inquiétude  saisit rapidement l'enveloppe froissée. Déchirée à la hâte, la missive est déjà sous ses yeux.
  - Dis nous, Berthe,  dis nous, nous aussi on veut savoir !
  -Soyez sage mes soeurs...
Le sourire disparaît, les lèvres serrées durcissent son visage, à mi-voix elle commence :
  - Ecoutez ce passage " ...Un soldat qui dévalisait les morts a été fusillé pour l'exemple, abattu par son commandant...
D'un seul coup les filles se taisent. Avalant sa salive Berthe continue :
  "Un autre jeune fantassin, paniqué, fuyait le front, le commandant le convoque lui dit " monte sur le parapet " le commandant le suit et le tue d'une balle dans la tête.
Dans un même cri d'effroi, les soeurs se rapprochent comme si la mort venait d'entrer dans l'estaminet.
    Au rappel de cet événement, le soldat baisse la tête et tenant sa jambe inerte  entre ses mains :
      - J'ai eu de la chance...
Tristement le récit se poursuit...
  "Autour de nous le moulin et l'écluse ont sauté , les granges brulent.  Jours et nuits ce ne sont que des bruits de moteurs et de tirs, les boches arrivent de tous les cotés. La vie que nous menons ici n'est plus une vie. Nous avons reçu une livraison de paille fraîche et une ration de vin supplémentaire mais il est impossible de se laver. La charogne répandue un peu partout dégage une puanteur insoutenable. Les rats sont partout.  Je fais toujours la même prière à la Vierge Marie : faites que je revoie Berthe.
Des sanglots dans  la voix, la jeune fille tend les feuillets à Louise, qui s'éloigne un peu et continue doucement
    " Le 5 mars le jour se levait à peine, quand tout à coup un pilonnage incessant et des hurlements de sauvages précédés de lance flammes nous  ont fait bondir . Immédiatement nous  avons envoyé  nos grenades sur tout ce qui bougeait. Tombé sur un cadavre je me suis vu mourir, je repétais sans cesse, Berthe, ma petite Berthe...miraculeusement je ne suis que blessé.  Actuellement à l'infirmerie avec une fracture du tibia. Le médecin a ordonné mon évacuation, je devrais arriver à Roubaix quelques jours aprés cette lettre. Ce sera un grand bonheur de revoir tous ceux que j'aime...
Bondissant prés de sa soeur Berthe, lui retire la lettre des mains. Les joues rouges et sans un mot elle parcourt les douceurs qui terminent le courrier.
Il faudra encore une longue semaine pour que le poilu épuisé par les combats, et les nombreuses blessures retrouve sa famille.
       Prévenue par les parents, de l'arrivée du soldat, Berthe se rend  en courant à leur domicile. Sans se protéger de la pluie fine et serrée qui rend le pavé glissant elle se précipite rue Lalande. La gorge nouée, elle entre dans le salon transformé en chambre pour accueillir le soldat blessé. Allongé sur le lit, une jambe maintenue par des attelles, et le crâne couvert d'un large bandage, l'homme trés afflaibi ne peut pas se lever. L'apparition de la jeune fille illumine les yeux noirs enfoncés dans le visage cerné de fatigue. Le regard de Berthe est rempli de larmes. Dans l'émotion qui la fait se précipiter, elle trébuche;  de justesse la chute est évitée par la main que lui tend Arthur.
   - Ah ! cette fois ce n'est pas moi qui tombe!  ironise le soldat.
Il appuie sa joue sur l'épaule de la demoiselle et murmure à l'oreille:
  - Je vous aime Berthe.
Mains entremêlées les jeunes gens sentent un frisson d'amour les envahir.
- Assoyez- vous Berthe et buvez cette petite liqueur de verveine !
Sans se faire prier la jeune fille avale d'un trait le liquide vert donné par la mére d'Arthur.
                         Le 8 novembre 1918 le retour des bataillons est applaudi, les cyclistes lancent les journaux annonçant l'armistice.
                          Le 11 novembre à l'abdication du Kaiser les poilus radieux remplissent les rues accompagnés par les jeunes enfants.
                           Le beau mois de mars 1919 voit la démobilisation de la majorité des soldats.
   Peu à peu la vie reprend son cours et les amoureux envisagent l'avenir. Et le mariage !
  Comme veut la tradition c'est au bras de son père que la future épouse entre dans l'église, qui vibre de toute la force de son orgue. Les familles  Dumoulin et Debruyne occupent  les premiers rangs de chaque coté de l'allée centrale. Le futur marié attend au bas de l'hotel en se retournant nerveusement.
  Arthur  a revêtu le costume militaire. La tenue immaculée de Berthe adoucit la rigueur sombre de l'uniforme. Le satin, difficilement trouvé en cette fin de guerre, recouvre en plis nervurés le haut des bras et, en la serrant un peu, la poitrine légèrement rebondie. Un cortège de  boutons descend du col fermé jusque la taille où un petit bouquet de fleurs roses repose sur les fronces de la jupe blanche en dentelle de Calais. Les fins escarpins roses poudré mettent en valeur les bas de soie qui se laissent voir bien au dessus de la cheville. Légères et aériennes des aigrettes s'envolent du turban de soie qui barre le front et retient la masse des cheveux noirs. La longueur des gants blancs et le collier brillant de pierres ajoutent  à l'élégance de la mariée.  
  Ce 21 juillet 1919, malgré les pénuries d'après guerre un repas rassemble joyeusement les familles. En fin d'aprés midi les convives chantent en choeur,la chanson à la mode  " C'est mon homme".
   Le jour suivant la fête ,Arthur emmène son épouse devant la boucherie , désignant le dessus de la porte :
  boucherie1.jpg

    - On mettra une belle enseigne "Dumoulin- Debruyne"
      - Oui dés demain je donne ma démission, je quitte madame Selliez, et la couture pour travailler avec toi.
Cette décision prise rapidement est acceptée de bon coeur par les parents d'Arthur. A la boucherie le travail ne manque pas et Berthe apporte une aide précieuse en attendant le retour de son mari à la vie civile . Début août Arthur peut enfin quitter l'armée.
    A la maison une grande nouvelle l'accueille :
       - Tu vas être papa !
      -Mon Dieu, déjà !
L'ambiguité de la réponse surprend la jeune femme mais ne ternit pas sa joie.