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 parc

Alphonse et la fraude.


Bien qu'attendrissant ce spectacle angoisse le nouveau père soucieux de l'avenir financier dont il a désormais la charge.
Quelques revenus supplémentaires seraient bienvenus...
Son ami Jean venu voir le nouveau- né, lui a donné une idée...



        Minuscule village de trois rues dominées par la sucrerie, forteresse des seigneurs locaux, Warcoing est depuis deux semaines le témoin de secrètes rencontres.
Cachés par le mur de la sucrerie,Alphonse et Jean ont des airs de conspirateurs.
          -Tu as peur parce que c'est la première fois, mais tu verras c'est facile, ouvres ton gilet !
Jean se penche vers la brouette qu'il vient d'amener jusqu'à leur lieu de rencontre et sous une couche de petits bois cassés, recherche le tabac qu'il a dissimulé. Entre la chemise et le gilet, Alphonse glisse une trentaine de paquets de cigarettes,  rentre son pantalon bouffant dans les leggins ,enfonce sur le crâne la casquette vert délavé,  et le torse à peine gonflé il monte sur sa bicyclette.
          - T'inquiète pas Fons, ça va aller, et dans dix jours je reviens on va monter les chiens.
          - Monter les chiens ?
            - Je t'explique ! Un chien dressé rentre toujours directement chez son maître dès qu'il est laché . On commence par donner au chien toute la viande qu'il veut et une bonne niche, puis un camarade l'emmène à cinq cent mètres  et lui flanque une raclée de coups de bâtons;  l'animal se dépêche de rentrer chez lui ; plus tard on l'emmène plus loin, à la fin,il comprend et même de trés loin il rapplique à toute allure. Pour la première fois on le chargera avec du foin !
Aphonse s'éloigne ignorant le signe d'encouragement que lui adresse Jean. La peur au ventre il parcourt entre les villages le réseau de trajets qu'il a repéré et qui lui permet de passer la frontière sans se faire remarquer par les douaniers.  C'est en pensant à Jeanne qu'il se donne de bonnes raisons de frauder, il imagine le profit qu"il va tirer de son trafic,les petits cadeaux pour Jules, voire même un collier pour son épouse bien aimée.
  L'énergie motivée par ses rêveries il passe ne France où il est attendu par un comparse. La petite somme d'argent reçue en échange de son tabac le conforte dans sa décision de multiplier les voyages. Mais d'abord il faut rentrer , rassurer sa femme qu'il a laissé trés angoissée.
  Les nombreux passages de la frontière ne sont pas aussi fructueux que l'espérait Alphonse.  Pour développer son trafic il  compte sur son chien. Un malinois mâtiné de Bouvier des Flandres.  Le poil roux et ras, les oreilles coupées, la queue longue, l'animal est rusé  et  reconnait l'uniforme des douaniers. Agressif et dressé à ne pas laisser ses précieux chargements tomber entre les mains des gabelous aux grands manteaux, il fait le bonheur de son maître.  Pourtant un jour Youkou rentre fatigué, la langue pendante, des morsures saignantes sur le poitrail, l'immense sac qu'il porte sur le dos est eventré et vidé de son tabac. Sur le front l'espèce de bandeau de cuir, armé d'une forte broche prévue pour éventrer les chiens des douaniers est lui aussi couvert de sang, de lambeaux de peau et de poils. Brisé le chien s'effondre aux pieds d'Alphonse. Son compagnon d'infortune agonise avec un dernier regard d'incompréhension pour ce maître à qui il a donné sa trop courte vie. 
  Ce soir sur le chemin du retour l'homme a envie de partager son chagrin et de raconter ses peurs aux autres fraudeurs.
  En suivant la vallée de l'Espierre bordée par les blés et les avoines il aperçoit la brasserie de Saint Léger. Des bruits d'accordéon mêlés à des cris de femmes et suivis de rafales de rires l'attirent vers l'estaminet.  La maison longue, basse, toute en briques rouges et aux volets vert foncé se distingue par les deux groses lanternes au dessus de l'entrée.  Les fenêtres à petits carreaux couvertes de brise vue en  dentelle assurent la discrétion du lieu. Posées sur les appuis les jardinières de géraniums rouges distribuent généreusement la note de gaieté. Des volutes de fumée, survolent les voix joyeuses et braillardes passant la porte à demi ouverte.  Derrrière le comptoir, l'aubergiste, front bas, joues sanguines, de ses petits yeux vifs surveille le va et veint de la clientèle. Mais c'est la voix d'Irma , la tenancière qui éclate:
  - Entrez y Mossieu....Et toi l'accordéonneux reprends la musique !
  Femme rondelette d'une cinquantaine d'années, aux yeux noirs sous les boucles de cheveux gris, elle anime l'ambiance ou console le client ésseulé.
Près des patères où chacun se débarasse d'une veste ou d'un béret on peut lire :
         -Ch'est au cabaret
         - Que l'tristesse
        - Viell tigresse
       - Sitôt disparaît...
  Une jeune beauté pas trés grande et potelée, les yeux aussi noirs que les cheveux qui dégringolent sur ses épaules dénudées, passe entre les tables et distribue les verres.
Des hommes rougeauds la suivent du regard attirés par le décolleté audacieux de cette gorge montrée sans voile.
          - Qui commence le concours de pintes ?
  Devant chaque main levée la jeune femme se penche gracieusement pour déposer un verre sur la longue table de bois blanc
         - Qui tiendra le dernier ?  Combien de fois je vais remplir les verres ? 
  Intéressé Alphonse examine la file des verres encore vides. Dans l'alignement il remarque le plus petit. D'un geste décidé il attrape le verre, le montre aux buveurs, en le tenant bien au dessus de sa tête, se dirige vers la porte ouverte.
  Tous se sont tus, et perplexes observent la gesticulation de l'homme.
Quelques courbettes devant son public intrigué et il installe solennellement le petit verre sur le seuil, recule de deux pas, et envoie un grand coup de pied dans le récipient :
        - T'es trop petit pour aller au cabaret !  lance t-il joyeusement.
Médusés puis hilares tous les clients ont suivi la scène et chacun réclame
       - A boire, à moi !
      - Une double beeer !
Chaque participant se saisit d'un verre,  lève le poing fleuri de la pinte mousseuse et ruisselante, l'avale goulument, et d'un revers de manche essuie la mousse blanche accrochée sur sa bouche.
      -  Encore une que le diable n'aura pas !
  Les rires fermes et pleins s'accrochent à l'harmonica et à l'accordéon incitant les filles hardies à se déhancher.
  Alphonse s'éponge le front puis le cou et dégrafe le col de sa chemise. La nuit va être  longue...
Un buveur,  la bouche à moitié ouverte et le regard noyé d'alcool traverse la pièce, hésitant, se cogne le front au chambranle de la porte et se couche en jurant :
    - Vain dieu !
  Le visage rouge, l'oeil injecté, Alphonse sent le plancher osciller sous ses pieds comme un roulis sans répit. 
Dans la joie bruyante et la fumée épaisse , saoûl, il s'effonddre sans la moindre pensée pour la foudre ménagère qui l'attend au retour de ses vagabondages.
            smile.