1914, la guerre.
L'assassinat de l'archiduc François Joseph à Sarajevo et la déclaration de guerre faite par l'Autriche à la Serbie, lue dans le journal"L'Avant garde" le 29 juillet, reste bien loin de leurs préoccupations.
Dans la rue de la sucrerie une maison basse faite de pierres grises, entourée d'un jardin oublié, arbore tristement un panneau" A louer".
C'est là qu'ils imaginent leur avenir en écoutant le chant fluté du merle.
- Tu entends Jeanne ? C'est le mâle qui chante aussi bien, il est infatiguable, il n'arrête pas de toute la journée, les courtes phrases se suivent,la première en montant, la deuxième en descendant, on dirait qu'il se parle à lui même, il chante son bien être et sa bonne humeur.
Pourtant ce 31 juillet en France, Jean Jaurés est assassiné !
Mais l'arrivée de l'armée Allemande le 2 août au Luxembourg suivie deux jours plus tard par l'invasion de Liège trouble la promenade des amoureux.
Sur les rives de l'Escaut, basses et sablonneuses, plantées de hauts joncs verts, ils aiment se reposer prés d'un grand vieux bateau échoué qui sert de promenoir aux hirondelles et aux sarcelles. Là ils prennent conscience que l'engrenage mortel est engagé.
L'inévitable arrive en ce petit matin d'octobre,où l'air frisquet se charge d'un léger brouillard au dessus de la campagne...
Le tambour battu tôt ce matin par le bourgmestre flanqué de deux gendarmes, invite bruyamment les villageois à se rassembler. Rapidement hommes et femmes enfilent une grosse veste ou une chaude pélerine et se retrouvent sur la petite place devant l'église.
D'une voix rauque et fêlée, le premier citoyen de la commune déclare:
- La Belgique interdit aux Allemands de passer pour attaquer la France. Notre roi Albert I appelle tous les hommes de dix sept à cinquante cinq ans au rassemblment pour le service de la patrie. Ils doivent se mettre à la disposition de l'armée...Le premier convoi partira demain !
Parti de la foule un murmure grossit puis éclate. Le chant patriotique porteur de victoire retentit. La Brabançonne calme les angoisses.
- On sera vite de retour !
-On en fera qu'une bouchée!
Alphonse est mobilisé , mais c'est lui qui rassure ses parents:
- On va vite régler leur compte à ces sales boches, sous peu je serai de retour. Prenez bien soin de ma Jeanne !
C'est presque joyeusement que la caravane se forme le lendemain matin. Les hommes fiers de participer à la défense de leur pays ont fleuri de rouge leur boutonnière sous les applaudissements des femmes admiratives.
Jeanne restée seule à Ecausssine sent les larmes glisser le long des joues:
-Mon Dieu faite qu'il revienne trés vite !
Deux jours aprés la mobilisation le convoi est attaqué à Wavrin. Les Uhlans, drapés de grands manteaux gris, un casque noir ciselé de cuivre sur la tête, une longue lance enfoncée dans la botte, avancent revolver au poing, massacrant tous les soldats sur leur passage.
Alphonse se laissse tomber dans un fossé profond et horrifié assiste à la mort de nombreux combattants.
Le 12 novembre 1914 les Allemands prennent Dixmude sur le canal de l'Yser.
Le petit pays tremble pour ses guerriers. Au loin les bombardements sur Ypres bouleversent tout le village jusqu'à présent épargné.
Quatre saisons se passent...aucune nouvelle n'arrive du front.
Mi -août Jeanne assiste seule à la migration des hirondelles des rivages. Chaque jour elle se rend à l'église et demande au Seigneur de protéger son amoureux puis elle retourne devant la petite maison, toujours à louer, où ses rêves lui insufflent de l'énergie. Malgé la guerre elle continue d'accompagner son père au cimetière, comme elle le fait depuis sa quatorzième année pour remplacer sa mère Céline, morte en accouchant du quatrième enfant . Le tailleur de pierres apprécie cette ouvrière qui d'un coup de pinceau habile et délicat recouvre d'or les lettres gravées dans le granit ou le marbre des sépultures.
La Gazette publie les derniers événements de l'hiver 1915 : les Anglais sont en France, à Loos. Le Roi Albert I surnommé le roi chevalier par ses alliés a établi son quartier général à La Panne, il lutte activement à la tête de ses troupes difficiles à discipliner,et oppose une résistance héroïque sur le front; tandis que la Reine parmi les infirmières soigne les blessés. Les hommes arrivant de la ligne des combats relatent le corps à corps épouvantable dans la boue des tranchées, la faim et le manque d'eau.
L'un d'eux a vu Alphonse. Son régiment a été relevé des tranchées pour cause de pieds gelés !
La jeune fille envoie beaucoup de lettres, peu arrivent à destination. Les trop rares cartes postales qu'elle reçoit sont toutes chargées d'amour mais sans détails sur la dure rélaité militaire.