Paule.
3 septembre 1939...
Comme tous les soirs aprés sa journée de travail, Jules enfourche son vélo vert et parcourt toutes les rues de Lys les Lannoy, voisines du vélodrome de Roubaix.
Il est inquiet.
Les journaux et la T.S.F parlent de l'invasion allemande en Pologne. La guerre est déclarée. Le président Albert Lebrun proclame la mobilisation générale.
Cette fois encore le jeune homme est déçu, il décide d'emprunter cette petite rue en terre où il ne passe jamais car il n'y a qu'une seule maison. Cloué de guingois sur un poteau de bois un panneau noir affiche " Edouard Vaillant" écrit à la peinture blanche.
Toutefois une petite sihouette au bout du chemin l'intrigue. Quelques coups de pédales le rapprochent. Joyeusement il sifflote : Un petit chemin qui sent la noisette. Surprise la jeune fille se retourne et tombent les paniers. Pour les ramasser, d'un geste élégant elle pose un genou sur le chemin, sa jupe légèrement volantée s'étale en corolle. Le jeune homme séduit par ce minois de chat aux yeux verts, affiche un sourire conquérant.
- Vous me reconnaissez ?
Paule n'a rien oublié. La bouche longue et fine, presque féminine qui s'ouvre sur une rangée de dents à la blancheur éclatante, le nez bien droit, le bleu foncé des pupilles et l'ondulation des cheveux sur le grand front. Non, elle n'a rien oublié, même la petite fossette qui divise le menton proéminent. " Comme il est beau," se dit -elle.
Mais elle ne peut articuler le moindre mot...
Le garçon continue :
- Je vous cherche depuis le 14 juillet...Je voulais vous emmener à la ducasse...demain...
Sa voix douce est remplie d'amertume.
-Doucasse ? dit elle avec son petit accent, et le mot inconnu la fait sourire.
- C'est le nom que l'on donne à la fête foraine, il devait y avoir la fanfare, des jeux, et aussi des frites ! Mais la guerre ! la saleté de guerre...Je dois partir !
Doucement la jeune fille se redresse en prenant appui sur la main tendue par Jules qui continue :
-La France et l'Angleterre entrent en guerre contre l'Allemagne, le troisième Reich ! A Roubaix devant la mairie les hommes, nez sur les affiches repèrent leur numéro de fascicules. Chaque roulement de tambour de l'appariteur annonce une mauvaise nouvelle.. La voix de plus en plus sourde il ajoute :
- Je suis Belge, la Belgique a lancé sa mobilisation générale...Les yeux brouillés de larmes il répète: je dois partir !
-Ne pleurez pas sinon je pleure aussi...J'espérais tellement vous revoir, je ne connais ni votre nom ni votre adresse !
- Jules Ponthieu , pour vous servir mam'zelle ! Aimez vous lire ?
Il n'attend pas la réponse et poursuit...
-J'adore lire, je vous ai apporté un livre passionnant " L'empreinte du Dieu" de Maxence Van der Meersch , le connaissez vous ? Prix Goncourt en 1936 !
Le sourire réconforte momentanément la demoiselle qui avoue en rougissant ne rien savoir sur ce Max...
- Bien sûr ! Je suis bête, en Amérique il n'est pas connu, je vous le laisse, lisez le !
- Merci Jioules , je ne sais pas lire le Français...il me servira à apprendre tous les jours en pensant à vous...à toi !
- Faudra apprendre vite, je vais vous...,non..t'écrire... si tu veux bien ,
- Oui je veux...
Saississant le livre elle en déchire la dernière page et écrit : Paule Dumoulin 18 rue Edouard -Vaillant
Une fois de plus ému par cette étrange jeune fille, il prend ses petites mains dans les siennes, pose sa bouche dessus en les serrant trés fortement. Paule est troublée.
Les lèvres entr'ouvertes sur des mots qui n'arrivent pas à sortir sont une proie facile pour le jeune homme qui n'a que la tête à incliner pour les atteindre.
Le baiser partagé passionnément les éloigne pour un temps de la réalité.
La réalité....c'est cette voix au bout de la rue "Paulette, Poo-lette !
-My God , mon pére, je dois rentrer !
-Tu répondras à mes lettres ? Je t'écris dès que possible ! Pense à moi, ne m'oublie pas !
-Oui reviens vite, vite, prends soin de toi !
D'un seul coup le ciel se couvre d'un gris profond.
Dés le lendemain matin le jeune homme avec pour tout bagage une petite valise, prend le train de wagons de marchandises déjà bondé d'hommes en civil et de quelques chevaux réquisitionnés. Le sifflement strident des locomotives à vapeur est angoissant.
Jules est triste de quitter celle que dans son coeur il appelle déjà "ma petite rouquine" mais heureux car il a senti qu'elle partageait son émoi.
En octobre Paule apprend par une lettre de Jules qu'il est au côté du corps expéditionnaire Britannique le long de la frontière Belge. Il a reçu un masque à gaz qu'il porte en bandouiliére dans une petite boite, et raconte que certains soldats mettent du vin rouge à la place du masque.
Quelques jours avant la fin de l'annnée Paule emmène sa soeur Denise au cinéma, avant le grand film ellles regardent la rétrospective de 1939 .
- Le décés en février du pape sportif, Pie XI rendu célèbre par son ascension du Mont Cervin en Italie et aussi parce que condammant le racisme et l'antisémitisme il a refusé de rencontrer Hitler lors de son passage au Vatican.
En mars un nouveau pape Pie XII , prend la succession.
Vers la mi-mars l'invasion de la Tchécoslavaquie par Hitler n'ébranle pas la confiance que la France garde dans sa ligne Maginot.
Puis les actualités se font plus gaies : l'usine Peugeot sort la 202, et la mode met face à face les partisans du canotier et les belles en cloche de feutre.