La ducasse à Julot ....
Trés fier le père prend l'enfant dans ses bras
- Et maintenant pour toi mon Julot ! Vois le vendeur de petits jouets !
Devant les yeux ébahis du garçonnet le marchand agite le moulin. Une simple ossature d'osier couverte de papier coloré, agrémentée de petites hélices qui tournent dans le vent .
- As tu vu le Sôdart ? Ce petit soldat de bois, sculpté à la main, habillé comme ceux du régiment ? Ou la Wawa ?
- C'est quoi la wawa ?
-Cette petite boite ronde en carton est fermée d'un seul côté, pour faire plus joli on a collé du papier peint, la ficelle reliée au bâton sert à la faire tourner . Ecoutes son bruit !
- On dirait l'aboiement d'un chien ?
- Tu as raison ! Vois ici, le rossignol... c'est un sifflet en terre cuite,il a plusieurs trous et on le remplit d'eau.
Alphone gonfle ses joues et fait chanter le sifflet essayant de reproduire la mélodie du passereau...Indifférent à la démonstration Julot se dirige vers une petite cage en bois contenant un oiseau empaillé.
- Pa , je veux l'oiseau.
- Dis donc mon gars tu sais ce que tu veux ! Tu es d'accord Jeanne ?
- Oui, oui , ça me rappelle la cage à pinsons suspendue sur la façade de ma maison quand j'avais son âge.
La générosité de l'homme absout tous ses dérapages. Au coeur de la ducasse chacun glane son bonheur.
A l'odeur de gras de boeuf imprégnée sur leurs habits on repère les plus gourmands aprés leur passage à la friterie. La marchande de beignets déclenche l'hilarité moqueuse à chaque fois qu'elle se brûle les doigts en retirant les tranches de pommes du saindoux bouillant.
Lentement Jeanne suit les émanations et la fumée du brûloir de grains de café. L'odeur suave incite parents et enfants à s'attabler. La jeune femme se délecte d'abord de l'arôme corsé avant de boire à petites gorgées sa boisson préférée.
- Et voici du lait pour le "bakvis" ...affirme le cabaretier.
Mais Jules affamé réclame un gros cornet de dragées et de sucre candi. Alphonse refuse ces boissons trop précieuses à son goût ,il commande une chope, puis une deuxième, puis une autre encore, malgré l'oeil courroucé de son épouse, il se régale à chaque gorgée de bière. Dans le trouble de ses idées l'homme entend un grondement et pense que la colère de sa femme va éclater. En même temps Jeanne voit un gros nuage noir menaçant s'étendre presque au ras des champs.
- Vite il ne faut pas trainer, l'orage arrive
Comme sali par une fumée le ciel s'assombrit
Un coup de vent envoie dans un tourbillon, poussiéres et brins d'herbes. Saisissant la main de l'enfant elle bouscule son mari en lui donnant au passage une petite tape sur le ventre. Tous trois sentent les premières gouttes tièdes s'écraser sur leurs bras et leur visage. Des éclairs d'une blancheur aveuglante incendient l'horizon. Un craquement épouvantable déchire le ciel et décharge un rideau liquide.Tous se refugient vers la gare d'Hérinnnes pour se mettre à l'abri en attendant la fin de l'orage .
- C'était une belle fête quand même , pas vrai Mam' ?
-Oui mon Julot et au moins la pluie rendra ses esprits à ton père !
-Ne dis pas çà je...je sais.....j'aurais pas dû boire autant mais je ne le ferai plus! Je promets !
-Promesse de soulôt !
Tout en reconnaissant sa culpabilité l'homme est blessé dans son amour propre ,mais son épouse ne se fait aucune illusion...
- Qui a bu, boira !
Reproches et promesses accompagnent le retour ,sans perturber le gamin habitué à ces échanges verbaux.
bakvis : enfant juste sorti de l'enfance