Good Morning USA
Au chant du coq de ce 19 juillet 1920 les premiers braillements de Paule ameutent la famille.
- Rousse ! Elle est rousse
- Et toute frisée...
- Et toute petite
- Quelle voix de criarde !
-En bonne santé , c'est l'essentiel ! D'un ton péremptoire le père interrompt les commentaires.
La petite Paule grandit peu mais se montre trés vite volontaire et bavarde. Elle a hérité de son pére le caractère têtu et la petite taille, et de sa mère le menton pointu...
Arthur en perpétuel mouvement ne se satisfait pas du train train de la boucherie, et veut améliorer leur situation, gagner plus d'argent. L'Amérique semble correspondre à ses ambitions, il lui faudra plusieurs semaines pour rallier Berthe à son idée. En bonne épouse, consciente de son devoir elle accepte de suivre son mari.
En 1923 le jeune couple , la petite Paule , et aussi tante Hélène soeur de la mère de Berthe, embarquent au port du Havre vers le rêve américain...La longue traversée de l'Atlantique liée à l'inconfort de leur cabine en classe familiale, rend la fin du voyage assez pénible. Aprés vingt et un jours de naviguation, tous les passagers, sur les ponts réservés à leur classe, poussent des cris d'admiration en voyant le soleil se lever sur les rivages découpés de la côte New Yorkaise.
Le débarquement terminé, et les malles noires rassemblées ,Arthur entraîne son épouse ,leur fille et tante Hélène,.
Sous la coupe du chef la petite famille s'installe dans la principale ville de l'état de Pennsylvanie. Située entre New york et Washington " La ville de l'amour fraternel" retient l'attention d'Arthur car ce grand port industriel sur le fleuve Delaware qui se jette dans l'océan Atlantique est en plein essor économique grâce aux richesses agricoles et métallurgiques.
En plein mois de mai , là où toutes les rues portent des noms d'arbres et se coupent à angle droit, dans la rangée d'habitations hautes et colorées, c'est une maison aux volets bleus qui les accueille , en signe de bienvenue les arbres de la rue se sont chargés de fleurs.
Arthur se met en quête d'emploi, le travail ne manque pas, il trouve une place dans un grand restaurant.
Paule est scolarisée dans l'école catholique de la rue voisine ,où la seule langue parlée est l'Anglais à la mode californienne. Le soir chacun raconte sa journée en utilisant le français.
- Ce matin nous avons fait un excercice de secours en cas d'incendie, raconte la jeune écolière, il fallait courir et en ordre descendre l'escalier extérieur, c'est amusant le colimaçon de l'escalier.
La petite tante Hélène apporte son aide aux travaux de Berthe , qui a accepté cette cohabitation mais regrette de ne pouvoir régner en seule maîtresse de maison. Ensemble elles découvrent le métro qui les méne du bout de la ville à la trés belle place Rittenhouse ou sur le pont Benjamin Franklin. Pour la promenade dominicale ils préfèrent l'exotisme du quartier Chinois , ou encore se rafraichir le long de la rivière dans le jardin public" le Fairmount Park ".
Quelques jours avant Noël rentrant de son travail plus tôt qu'à son habitude Arthur claironne :
- Si ces dames veulent bien mettre un oeil à la fenêtre !
L'élan de curiosité les emporte et les questions suivent:
- C'est pour nous l'automobile ?
- Et bien oui, dorénavant je serai votre chauffeur !
- Alors il faudra rouler tout doucement sinon je vomirai. Dit Berthe en souriant.
- Comment vomir ? Tu n'as jamais été malade sauf quand tu étais enceinte...Est ce que ?
- Oui , c'est çà ! ajoute -t-elle en rehaussant fiérement la poitrine sous les yeux mouillés de son mari.
Battements de mains et exclamations de surprise approuvent l'annonce faite par l' homme assez fier de sa réussite et de la prochaine naissance.
Les finances florissantes et l'arrivée d'un garçon apportent le bonheur au desssus du berceau de Charles, bientôt suivi de la toute brune Denise en 1927.
Ces joies Berthe aimeraient les partager avec sa famille restée de l'autre côté de l'Atlantique. Trés souvent ses pas la guident vers le port pour la promenade des enfants, devant les bateaux à quai elle rêve de la France. La correspondance assidue avec ses parents ne lui suffit plus mais elle évite d'en parler.
La prohibition qui sévit est souvent le sujet des conversations mais ne gêne pas la famille.
- Des barils d'alcool ont encore été détruits...
- Un incendie s'est déclaré suite à l'explosion du matériel empirique utilisé pour la distillation ...
- Tant mieux ! Les fabricants clandestins font n'importe quoi en mélangeant alcool et poison chimique, j'ai entendu parler du Jake, gingembre de la Jamaïque il est trés fort et rend aveugle et fou...
- Avec Al Capone, ce gangster , le trafic n'est pas prêt de s'arrêter
- Il est protégé par une partie de l'administation corrompue !
- Sauf par Eliot Ness qui les poursuit inlassablement.
- Le marché noir de l'alcool est rentable et violent, il est entretenu par les rackets de puissants gangs
- Les pubs se sont officiellement reconvertis en salon de thé ou en épicerie mais ils disposent d'arrière- boutiques où on trouve de l'alcool.
- De la drogue et des filles ajoute Hélène à voix basse.
La prohibition voit sa fin en 1933 ,l'absence de rentrée de taxes sur l'alcool a entamé la réserve financière de l'état.
Au fil des années la langueur de Berthe s'intensifie...