Les serres du palais de Laeken forçent l'admiration et parmi les nombreux parcs qui jalonnent la ville c'est au bois de la Cambre que le trio prend quelques minutes de repos.
Le repas du soir approche...
Victoria propose à ses soeurs de venir souper dans la pension de famille qu'elle tient seule depuis la mort de son mari.
Dans la rangée de maisons hautes celle de Victoria se distingue par un soupirail ouvert au ras du trotoir. Des relents de cuisine remontent jusqu'aux nez des passants.
La porte d'entrée donne sur un escalier descendant à la salle à manger qui jouxte la cuisine.
Ravie de rendre service Jeannne installe le couvert des sept pensionnaires,qui attendent tranquillement, plongés dans la lecture du"Journal de Bruxelles".
Stupéfaite elle voit Victoria disposer des tranches de viande crue sur la plaque brulante de la grosse cuisinère.
- Ce soir bavette grillée...Ils adorent ça !
En rissolant l'odeur de chaire brulée se dégage de la fumée et écoeure Jeanne pas du tout coutumière de ce mode cuisson.
- Je n'ai pas très faim...Juste une soupe...çà ira !
A la fin du repas les jeunes femmes se délassent dans le salon et prolongent leurs bavardages.
- Avez vous des nouvelles de Victor ?
-Oui notre frère va bien , par le courrier arrivé hier de Courtrai sa femme , Adéle, raconte qu'il va être nommé maréchal des logis et qu'elle est enceinte pour la troisième fois !
- Oh, ben, c'tune fois un sacré not' frère ! Mon florent n'est pas si pressé...
Un peu troublée , le regard dans le vide , Madeleine quitte la pièce.
Prenant un air narquois Victoria s'approche de Jeanne :
- Elle voit rien Mado , à chaque visite de Florent il feint de m'embrasser sur la joue mais il glisse toujours à côté et tombe sur le coin de mes lèvres ou dans mon cou...c'est un coureur de jup...Elle ne termine pas sa phrase ,sa soeur est de nouveau parmi elles.
-Dites moi vous deux...Encore en train de comploter ?
Jeanne dissimule sa confusion en plaisantant:
- Justement je disais à Vic... que j'avais une surprise pour vous !
- Une surprise ?
La jeune femme se lève et sous le regard étonné de ses deux soeurs commence à se déshabiller.
Rapidement déboutonné le corsage laisse apparaître une protubérance maintenue au niveau de l'estomac par un corset baleiné.
- Ce n'est pas lourd mais je suis contente de me débarasser...
Les agrafes du côté coincent un peu; les mains habiles de Madeleine viennent au secours de Jeanne emportée par de grands éclats de rire.
- Arrête, tu chatouilles !
Intriguée Victoria dégage deux flacons de parfums calés entre le corset et la fine chemise de peau, puis triomphalement les agite au dessus de sa tête.
-Dis donc, fille, tu es passée comme cela à la frontière ?
- Bien vrai, mais le douanier ne risquait pas de les trouver à cet endroit ! Pour l'avoir beaucoup pratiqué, Fons , connaît les astuces des fraudeurs ! Pour toi Victoria j'ai choisi " Crêpe de Chine" chypré, fleuri de lilas et d'oeillets tellement envoûtant que tu retrouveras bientôt un mari...
- Et moi, et moi ?
- Pour toi Mado, c'est "Bocages"...comme un printemps odorant il sent les tendres bourgeons et les haies d'aubépines.
Les filles ravies de recevoir ces magnifiques flacons , trés coûteux dans les parfumeries Belges, embrassent la benjamine.
En échange, le lendemain matin, le corset est bardé de tabac.
- Ce n'est pas la même odeur, mais Alphonse va bourré sa pipe avec bonheur ! avoue l'épouse enchantée de ramener un cadeau à son mari.
Les soeurs se quittent à la gare, le coeur triste mais gonflé par l'espoir de prochaines retrouvailles.